• Caramba, encore raté ! (L'Oreille cassée, 5.2)

    Cible mouvante

     

     

     

    Passons maintenant des mésaventures balistiques de Ramon aux tribulations de sa cible "fétiche", Tintin. Dans cet album plus que dans les précédents, celui-ci devient en effet l'homme à abattre. Depuis Le Lotus bleu, on constate une plus grande structuration des intrigues, sur le modèle du roman noir. Les dangers menacent Tintin de manière plus concrète, dans une inflation de revolver et de situations menaçantes. Page après page, il est susceptible de rejoindre les quatre autres morts de cette histoire : Balthazar, Rodriguo Tortilla, Ramon et Alonzo.

     

    Mais Tintin ne meurt évidemment pas. On peut d’ailleurs tout à fait imaginer que la série de gag portant sur la maladresse de Ramon rentabilise en fait sur le mode comique une nécessité narrative qui structure l’album : celle de ne pas tuer Tintin, tout en le plaçant dans des situations dangereuses.

    La scène de rêve qui débute l’album est symbolique de ce péril permanent.

    sarbacane

    Préfiguration du rêve des Sept boules de cristal, elle en a le même enjeu symbolique : il s’agit dans les deux cas d’une transgression (le vol du fétiche, le vol de la momie de Rascar Capac) qui se retourne contre le sacrilège. Dans les deux cas, le héros rêve de l'intrusion nocturne d'un indien, amérindien puis inca. Mais ici, c’est Tintin qui se retrouve dans le cœur de la cible, sans qu’il ait rien fait pour cela. Aux véritables sacrilèges (les colonisateurs qui ramènent le fétiche en Europe, les voleurs qui l’arrachent à son musée, les faussaires qui dévalorisent son "aura" d'oeuvre rituelle en le reproduisant…), Hergé substitue le  héros de l’histoire, dans lequel s’identifie le jeune lecteur. Dans l’opération, le symbole et la sourde inquiétude qui en émane passent au second plan.

    Ce qui reste, c’est un héros en prise à toutes sortes de tueurs et de projectiles : fléchettes, balles navajas, bâtons, balles de golf. Il est sauvé in extremis grâce à un trottoir, à la maladresse de Ramon, au sabotage des fusils d’exécution, aux balles à blancs du pistolet d’Alcazar, etc. Tintin est la cible idéale, celle que tous rêvent d’atteindre. Même absent, il obsède Ramon : le pyjama sur lequel il s'entraîne est une manière (fétichiste, pourrait-on dire...) de le rendre présent. Sa silhouette si reconnaissable est visible même quand il est hors de la case.

    entraînement

    Au San Theodoros, devenu aide de camp du général Alcazar, il est cerné par les tueurs, pris entre le poignard et les balles. La case centrale de la dernière bande le montre encerclé, pris en tenaille entre sa droite, d’où est venu le poignard, et sa gauche, d’où vient la balle.

    tintin coincé

    Il se tourne vers cette dernière, mais garde son épaule droite et son pied gauche tournés de l’autre côté. Sa posture improbable, résultat de ces deux mouvements contradictoires, est emblématique d’un personnage qui ne sait plus sur quel pied danser.

    Il se retrouve à nouveau encerclé dans la jungle des Arumbayas, pris dans ce qu’il appelle plus tard une « petite comédie des fléchettes ». La situation inconfortable qui était condensée en une case est cette fois développée en deux pages.

    petite comédie des fléchettes 1

    Seule la cible est visible, maintenant, et non plus les tireurs, dont on nous laisse deviner qu’ils sont nombreux. En effet, c’est de la droite de la case que vient la première fléchette.

    petite comédie des fléchettes 2

    Tintin se cache derrière l’arbre sur lequel elle s’est fichée, mais en voit arriver une autre de la gauche de la case.Fuyant logiquement du côté opposé, à droite, il se cache à gauche de deux arbres. La fléchette arrive encore une fois dans son dos. Entre temps, il a déduit de cette ronde des fléchettes que, pour pouvoir le cerner ainsi, ses adversaires étaient plusieurs, au minimum deux. 

     Retournements suivants, aux sens propres et figurés : l’arrivée, encore une fois dans le dos de Tintin, d’un serpent gigantesque, tué par une fléchette salvatrice qui arrive pour une fois du même côté que la précédente. Puis enfin, le tireur unique sort des bois, au grand étonnement de Tintin.

    petite comédie des fléchettes 3

     

    Mais ce tireur n’a pas l’inquiétante étrangeté de l’indien du rêve. Ce qu’il pouvait y avoir d’oppressant dans l’attaque de tireurs invisibles disparaît au moment où Ridgewell apparaît.

    un-blanc.JPG

    Ce n’est plus le représentant d’une civilisation inconnue, au rictus cruel, comme dans le rêve. Sa maîtrise de la technique du tir à la sarbacane n’a rien de mystérieux. Hergé reprend ainsi la scène initiale, où se manifestait ce qu’on pourrait appeler une stochophobie  (peur d’être pris pour cible), déjà repérable à la fin des Cigares du Pharaon, et particulièrement présente dans Le Lotus bleu. Mais cette peur de la flèche, associée à la peur du poison, et de la vulnérabilité qu’elle implique, avait été gommée par les variations comiques du milieu de l’album. À la fin de l’album, il est temps de reprendre le motif initial, de façon explicite : la réplique "Des fléchettes empoisonnées !... Souviens-toi, Milou !.... Le curare !...." fait référence aux lectures anthropologiques du début de l'album, matérialisées dans le rêve de Tintin, qui expliquaient les techniques de chasse des Arumbayas. Mais cette peur n'est reprise que pour être démystifiée.

    Ridgewell, le tireur, est un homme blanc qui s’initie aux arts amérindiens et les dépasse à leur propre jeu. Il échoue d'ailleurs logiquement dans sa tentative de leur apprendre le sien, le golf. Le seul projectile qui atteint véritablement Tintin dans L'Oreille cassée l’atteint à ce moment, et il s’agit justement d’une balle de golf, sport éminemment occidental et civilisé.

    balle dans l'oreille (à scanner)

    Il n’est pas interdit de voir dans la rondeur de la balle un antidote aux menaces de pénétration présentes dans les balles, fléchettes et autres navajas qui ont visé Tintin jusque-là. Hergé fait subir à la sarbacane indienne le traitement qu’il avait réservé aux totems, vaguement menaçants au musée, instruments de délivrance grâce à la ventriloquie de Ridgewell. La menace sous-jacente de pénétration et d'empoisonnement, liée à la figure de l'étranger non occidental, resurgit un instant pour être immédiatement tournée en ridicule. Tintin est sorti de la cible. 

     

    Prochainement, des problèmes d'horlogerie...

     

     


  • Commentaires

    1
    Cole
    Vendredi 26 Août 2022 à 11:58

    L'avenir apportera certainement du bonheur à tous ceux qui y croient, qui empruntent son chemin difficile, trébuchent, tombent parfois même, mais gardent la foi dans le bien et le désir d'apporter ce bien aux gens ! C'est comme ça que ça se passe dans https://cocostream.me/famille/ les films ?

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